Talentueux percussionniste, Séga Sidibé est l'un des grands batteurs de djembé du Mali. Sinon de l'Afrique. Il a consacré toute sa vie à son art, particulièrement au djembé qu'il enseigne toujours aux différentes générations dans son Académie de percussion et de danses traditionnelles du Carrefour des jeunes de Bamako.
Portrait d'un charismatique "djembefola" (batteur de djembé) au parcours atypique.
"A notre naissance, il n'y avait pas assez d'instruments de musique chez nous. Le djembé était presque le seul instrument de réjouissance du Wasulu. Une région naturelle du Mali qui a vu naître de talentueux artistes comme Coumba Sidibé, Oumou Sangaré, etc. J'ai donc grandi au rythme de cet instrument à percussion", souligne Séga Sidibé pour expliquer sa passion du djembé. Un instrument qu'il a maîtrisé très tôt. Comme tous les jeunes ruraux, Séga ne résiste pas à l'aventure.
C'est ainsi qu'il abandonne son village au profit de la capitale. Pas pour jouer le djembé, mais pour travailler et se faire des revenus indispensables à la réalisation des rêves de tous jeunes saisonniers. La fuite ou l'exil n'empêche jamais le destin de se réaliser.
Et le jeune Séga est vite rejoint par le sien. Il ne résiste pas longtemps aux nombreuses et pressantes sollicitations des autres batteurs, des femmes, des pionniers... Sa réputation de talentueux instrumentiste l'avait précédée à Bamako. "Je me suis finalement dit que ce n'est pas certainement par hasard si tout le monde veut que je joue le djembé. Cela devait être la voie de la réalisation de mon destin, de mon bonheur", révèle-t-il de sa voix grave.
De 1962 à la fin des années 80, il n'a raté aucune semaine locale ou régionale, aucune biennale artistique et culturelle avec différentes troupes du district de Bamako. Et pour l'occasion, il n'est pas seulement maître du djembé, mais également metteur en scène.
Des Pièces représentées par "Djifili" (Baba Dabo, paix à son âme) et "Dougoubadia" sont ses œuvres. Même si ce dévouement à la promotion culturelle des jeunes n'ont valu à Séga Sidibé aucune reconnaissance de la part des autorités municipales et nationales, il en a acquis une très grande popularité et surtout une réelle renommée internationale. "Je vais à l'extérieur, particulièrement en Europe, au moins une fois par an", confirme-t-il. Récemment revenu du Festival Africolor de Paris (France), il effectue actuellement une tournée européenne.
Si en occident voire même dans nos pays on a du mal à situer l'origine du djembé, pour Séga Sidibé elle ne fait l'ombre d'aucun doute. En effet pour l'enfant du Wasulu, "le djembé est originaire du Mandé. C'est donc un instrument purement malien. Depuis la chute de Modibo Kéita, les autorités maliennes se sont détournées de leur culture, singulièrement du djembé. C'est pourquoi certain pays comme le Sénégal et Burkina Faso tentent aujourd'hui de s'approprier ce légendaire instrument". Instrument diabolique au rythme endiablé, beaucoup de mythes entourent le djembé. Ce qui est sûr, pour Séga Sidibé, "le rythme de l'instrument reflète l'image, le caractère, les sentiments voire l'état d'âme du batteur. Le djembé est aussi une expression. Les grands batteurs échangent et communiquent à travers son rythme. Mais les messages ne peuvent être déchiffrés que par les initiés".
Mythes et préjugés
Autant le djembé est sujet à des mythes, autant son joueur est victime de préjugés sociaux défavorables. "Dans notre société, lorsqu'on opte pour le djembé, on choisit la souffrance morale et sociale parce que les préjugés vous marginalisent. Le "djembéfola" a longtemps été considéré comme un pestiféré méprisé et honni.", rappelle Séga Sidibé avec beaucoup d'amertume.
La raison ? Selon certains prêcheurs, l'instrument est proscrit par l'islam. Mais pour le célèbre batteur, c'est purement par "jalousie, égoïsme et hypocrisie. Je ne suis pas d'avis que l'islam proscrit le djembé. Lors des manifestations culturelles internationales, je rencontre régulièrement de grands batteurs arabes". Il ajoute : "Des marabouts disent que le djembé est proscrit par la religion musulmane. Mais, combien de commerçants musulmans vivent aujourd'hui de son commerce ? Qui sont actuellement les principaux exportateurs des containers de djembé qui quittent chaque mois le Mali ? Combien de familles maliennes vivent de nos jours de cet instrument. Et les revenus qu'il procure est de l'argent propre parce que gagné à la sueur du front...".
La jalousie est apparemment la thèse la plus plausible. "Le batteur est si populaire que beaucoup de gens sont amenés à l'envier et à le détester. C'est un instrument qui attire particulièrement les femmes et les jeunes filles et attise leur convoitise. Jadis, les plus belles filles du village étaient toujours les maîtresses des batteurs de djembé. Les copains, fiancés et maris jaloux ainsi que des pères de familles ne peuvent donc pas avoir les batteurs en estime...".
enfants suivent ses traces pour l'instant. Pas par crainte des nombreux préjugés. Mais parce qu'il faut qu'ils étudient d'abord. Un analphabète ne peut pas réellement jouir et profiter de son art et de son talent. "Si j'avais été instruit, j'aurais pu tirer davantage de profits de mon art, de ma profession. Mais actuellement, elle me permet tout juste de joindre les deux bouts. Je n'interdis pas à mes enfants de jouer le djembé. Mais mon souhait est qu'ils accordent la priorité à leurs études", explique-t-il.
Le grand maître batteur a fondé, depuis 1992, l'Académie de percussions et des danses traditionnelles au Carrefour des jeunes de Bamako. Ce sont surtout de jeunes occidentaux, singulièrement européens, qui fréquentent l'Académie pour apprendre les instruments à percussion (djembé, dun-dun, ntamani...) et les danses traditionnelles (Madan, Doson dansa, Marakadon, Mandianni...) du Mali. L'Académie compte aujourd'hui plusieurs élèves célèbres dans le monde. Le plus connu est certainement Toma Sidibé, un jeune artiste d'Amiens (France) qui considère Séga comme son "père spirituel". L'élève voue à son maître une immense admiration au point de prendre son nom de famille : Sidibé. "Toma a choisi la chanson en plus du djembé. C'est un garçon reconnaissant qui aime le Mali et les Maliens au point de se considérer comme un enfant du pays. D'ailleurs son groupe est exclusivement constitué de jeunes instrumentistes maliens", note le professeur et le père.
Récemment, lors du Midem à Canne (France), Toma avait dédié au Mali et à Séga Sidibé le "Prix de l'Intégration" que lui a décerné le ministère français de la Coopération. Une récompense qui confirme que le jeune artiste à été à bonne école. Celle de l'iconoclaste Séga Sidibé.